Traduction du billet de Kate Jeffery, publié le 1er septembre 2015 sur son blog Corticalia :
“How to Write a Winning Grant Proposal”
J’ai passé en revue pas mal de dossiers de demande de financement ces derniers temps. Ayant moi-même obtenu quelques subsides par le passé, j’ai mis au point, petit à petit, un modèle de ce à quoi ressemble la demande de financement gagnante.
Voici quelques idées quant à ce qui fonctionne ou pas.
D’abord, demandez-vous à qui vous vous adressez
Votre dossier est écrit pour deux publics : une commission de non-spécialistes, qui ont un grand nombre de projets à lire sur toutes sortes de sujets, et une poignée d’examinateurs hautement spécialisés et critiques qui connaissent tous les tenants et les aboutissants du domaine et qui remarquent au premier coup d’œil les problèmes conceptuels ou techniques de votre projet. Si ces deux audiences exigent une approche totalement différente, l’une n’est pas pourtant moins importante que l’autre. Trop de scientifiques écrivent uniquement à destination des experts, alors que la personne à convaincre, c’est le rapporteur de la commission, membre d’un panel de non-spécialistes. Vous devez être percutant-e dès les premières lignes de votre demande. Au début de la lecture, le rapporteur doit se dire « wow, ça a l’air d’être sacrément cool ! » Et il doit fermer le dossier en se disant « wow, c’est vraiment cool ! » Il n’est pas rare de voir la commission refuser une demande que les experts ont adorée. C’est parce que les membres de la commission ont une vue d’ensemble que n’ont pas les experts. Vous devez réussir à emballer les non-experts (autant que les experts).
De nombreux scientifiques ont de la peine à communiquer avec les non-spécialistes. Je suppose que ce sont les qualités-même qui font d’eux de bons scientifiques – mémoire exceptionnelle, attention élevée pour les détails – qui les empêchent de prendre le recul nécessaire pour envisager leur demande dans le contexte de toutes les autres demandes d’autres scientifiques. Demandez-vous pourquoi Josephine Bloggs devrait financer votre recherche quand, dans sa pile de demandes, il y un projet qui propose de sauver les abeilles et un autre d’éradiquer le cancer, etc. Des 10 demandes sur son bureau, elle ne voudra sans doute en discuter qu’une ou deux. Allez-vous faire en sorte que ce soit la vôtre ? Vous êtes face à un vrai problème de publicité, vous devez absolument prendre un peu de recul et quitter cette perspective – à la limite de la myopie – centrée sur vos intérêts hyper spécialisés, et essayer de penser à comment accrocher le lecteur encore indifférent et non-engagé.
ACTION : remettez l’ouvrage sur le métier et réécrivez votre dossier en faisant en sorte qu’un lecteur non-averti puisse voir en quoi votre projet est plus palpitant que de sauver les abeilles.
Simplicité
Votre projet doit rester simple. Avec leurs piles de dizaines de dossiers de demandes de financement à présenter lors de la réunion de la commission, les rapporteurs ne pourront retenir qu’une idée principale de votre dossier. Faites en sorte que cette idée soit le livrable de votre projet (par exemple, la réponse à la question brûlante), et faites en sorte qu’elle sonne bien. Ce livrable doit apparaître dès le début de votre dossier et aussi à la fin. Le milieu est simplement là pour l’expliquer.
Ce n’est pas désespéré, les organes de subventionnement veulent financer des projets. Ils sont relativement faciles à satisfaire si vous vous en donnez la peine !
ACTION : reprenez la rédaction de votre dossier et simplifiez-le. Divisez par deux le nombre de mots, ajoutez des diagrammes, remplacez les paragraphes verbeux par des listes à puces. Et recommencez.
Quelle est votre question ?
Un projet efficace doit répondre à une question. Les humains sont naturellement curieux, alors si vous piquez d’abord l’intérêt de votre assesseur avec une question et que vous expliquez ensuite comment votre projet va répondre à la question, avec un peu de chance, il pensera « Oui ! Moi aussi, je veux connaître la réponse à cette question ! » Soyez donc bien certain-e de présenter votre question AVANT LA FIN DU PREMIER PARAGRAPHE. Vous devez accrocher vos lecteurs très tôt. C’est un vrai défi car à ce stade ils n’ont pas encore beaucoup d’informations, mais cela peut – cela doit ! – être fait, faute de quoi leur attention va s’éparpiller et leur niveau d’enthousiasme va s’effondrer. Une fois qu’il s’est effondré, il est pratiquement impossible de le faire remonter.
Dans le même ordre d’idées, vous devez formuler votre hypothèse très tôt dans le dossier. Vous n’imaginez pas combien de projets sont présentés sans hypothèse. Bien souvent, au lieu de présenter clairement une hypothèse, ces projets-là « visent à caractériser ». C’est la phrase la plus détestée dans un dossier. S’il vous plaît, ne visez jamais à caractériser quoi que ce soit ! Cette approche tombe dans la catégorie « collectionneur de timbres », qui a certes ses mérites, mais qui est barbante. Si vous devez absolument caractériser quelque chose, formulez-le comme si vous étiez à la poursuite de la réponse à la question brûlante. Et formulez des attentes quant à ce que la caractérisation (que vous aurez nommée autrement) pourrait produire. Sinon, vous aurez commis un autre grand péché, celui d’organiser une « expédition de pêche ». Votre projet ne doit être perçu ni comme une collection de timbres ni comme une expédition de pêche. Elle doit viser à tester une hypothèse dans le but de trouver une réponse à une question brûlante, réponse que le lecteur, à ce stade, veut désespérément connaître.
ACTION 1 : reprenez votre dossier et assurez-vous que la question est formulée avant la fin du 1er paragraphe.
ACTION 2 : trouvez la phrase dans votre dossier qui dit « tester l’hypothèse qui » et passez-la en surbrillance.
Votre projet doit représenter une avancée significative
Il y un triumvirat de phrases mortelles qui, si elles viennent à l’esprit de votre assesseur, vont tuer votre projet dans l’œuf. Nous avons déjà vu « collection de timbres » et « expédition de pêche ». La troisième est « incrémental ».
Une étude incrémentale aiguise l’état des connaissances mais pas de manière spectaculaire. Ça ressemble beaucoup à l’activité de collectionner des timbres, c’est à dire, accumuler des variations sur un thème (par exemple « Nous avons montré que la protéine x est impliquée dans le processus a et maintenant, nous voulons tester la protéine y »). Une étude incrémentale ne fait qu’étirer légèrement une problématique par ailleurs bien définie plutôt que repousser les frontières et accéder à de nouveaux domaines de la connaissance.
Bien sûr, l’essentiel de la science est incrémental, parce qu’il faut bien partir d’une base de savoirs bien établis. L’astuce, c’est de présenter les choses comme un grand pas en avant… Tout dépend de comment vous dépeignez le tableau ! Faites en sorte qu’il y ait une vraie différence – qualitative et quantitative – entre ce que vous proposez et ce qui a déjà été fait. Vous enfoncez de nouvelles portes qui vont ouvrir sur d’importantes découvertes. Quelle est la porte que votre projet va ouvrir ?
ACTION : reprenez votre dossier, identifiez le « grand bon en avant » et soyez sûr-e de le placer au début et la fin de votre proposition
Votre projet doit être gagnant-gagnant
Une autre erreur fatale que je vois dans de nombreux projets consiste à ouvrir la voie à plusieurs résultats possibles, dont l’un ou plusieurs seront forcément des impasses. Par exemple, vous cherchez à viser si votre hypothèse est vraie ou fausse – vous pensez qu’elle est vraie, sinon, ce ne serait pas votre hypothèse – mais elle pourrait être fausse, auquel cas, on n’aura pas avancé. Bien sûr, en tant que personne qui demande, vous pensez que vous retrouver dans ces impasses est hautement improbable. Mais si elles sont possibles, vous pouvez oublier votre financement. Parce que dans cette pile de dossiers concurrents, il y a des projets structurés de manière gagnant-gagnant – les résultats à proprement parler sont encore inconnus, mais on sait qu’il y aura des résultats. Rien n’effraie davantage quelqu’un qui doit sortir de l’argent que la possibilité qu’un quart de millions de Livres Sterling prélevés aux contribuables pourrait finir à la poubelle (et n’oubliez pas que certains contribuables n’ont même pas de quoi se payer l’eau chaude ! L’argent public est une denrée précieuse).
Vous devez essayer de structurer votre projet de sorte à ce qu’il fasse la distinction entre deux hypothèses alternatives, qui pourraient toutes les deux nous apprendre quelque chose d’intéressant. Ce n’est pas évident de présenter les choses comme cela, mais en général, c’est possible. Et si ce n’est vraiment pas possible, alors votre seul recours consiste à présenter à votre assesseur tellement de données pilote qu’il sera rassuré quant à l’obtention des résultats escomptés. Dans tous les cas, ce sera un plus petit subside, parce qu’il y a un gros doute (ceci dit, s’il n’y avait aucun doute, on n’aurait même pas besoin de conduire l’expérience).
ACTION : reprenez votre dossier et assurez-vous qu’elle présente bien une structure essentiellement gagnant-gagnant.
Evitez l’auto-glorification
Dans une soumission, il y a en général un espace où on vous demande de lister vos réalisations et d’expliquer pourquoi vous êtes la meilleure personne pour le travail à accomplir. Il est extrêmement important de bien comprendre l’esprit de cette exigence. « Mon laboratoire a de l’expérience avec xxx et a été l’un des premiers à yyy » est une manière élégante d’indiquer un statut de leader mondial. En revanche, « Mon laboratoire est réputé pour sa suprématie mondiale avec xxx ainsi que d’autres réalisations importantes comme yyy, qui a révolutionné la manière de penser… » est irritant. La différence, c’est que dans le premier cas, on présente des faits au lecteur qui peut se faire sa propre idée quant à votre excellence. Dans le second cas, on lui dit ce qu’il doit penser, ce qui va probablement le conduire tout droit à penser le contraire. En résumé, évitez de décrire votre propre travail comme prestigieux, révolutionnaire, à la pointe mondiale, influent, réputé, etc. Et dites simplement ce que vous avez fait.
Votre dossier a besoin d’une conclusion
Aussi incroyable que cela paraisse, de nombreux dossiers se terminent en plein vol, après avoir énuméré des détails expérimentaux mineurs (et ennuyeux). Quand votre lecteur tourne la dernière page, ce qu’il doit avoir en tête, c’est « wow, ça, c’était cool ! » plutôt que « baaaahh ». Il vous faut une conclusion, dans laquelle vous rappelez pourquoi votre projet est cool et répond à la question brûlante que vous avez plantée dans la tête du lecteur au tout début.
Pas de conclusion à rallonges ; l’espace est précieux et vous avez déjà tout dit. Vous voulez juste un dernier rappel, pour que ce soit la dernière chose que vos lecteurs aient en tête.
ACTION : écrivez le mot « conclusion » à la fin de votre dossier, suivi par quelques lignes de conclusion.
Choisissez vos experts avec soin
Il n’est pas rare qu’on vous permette de proposer des experts indépendants pour évaluer votre dossier. Choisissez-les avec soin. Bien sûr, idéalement, vous voulez des gens bienveillants à l’égard de vos travaux, mais attention, s’il y a une partialité évidente (un de vos anciens doctorants ou votre superviseur de post-doc par exemple) cela peut conduire le comité à ignorer leur recommandation ou, au moins, à la sous-évaluer, vous privant ainsi d’une source importante de validation.
N’oubliez pas non plus que des personnes qui semblent aimer votre travail lorsque vous les rencontrez en face-à-face peuvent se montrer extrêmement critiques sous couvert d’anonymat, alors évitez d’avoir toujours recours aux mêmes (à moins, bien sûr, que cela ne fonctionne à chaque fois !) De plus, n’hésitez pas à recommander des personnes critiques mais reconnues pour leur perspicacité, pour autant que leur expertise soit pertinente. Leur opinion pèsera plus lourd auprès du comité, et elles auront peut-être aussi des suggestions utiles pour améliorer votre projet. Si elles le descendent en flamme, par contre, c’est que vous l’aurez peut-être mérité. (Une alternative intelligente consisterait à demander à ces personnes de critiquer votre dossier avant de le soumettre !)
Il faut se rappeler qu’un financement est une façon de promouvoir vos idées et de les exposer au monde : quelques personnes dans votre domaine seront obligées de prendre connaissance de vos idées, et cela peut aider à vous promouvoir (si les idées sont bonnes, bien entendu). Même si vous n’obtenez pas le financement, vous pouvez vous consoler en vous disant que votre dossier aura au moins permis une petite opération de communication. Une demande de financement n’est jamais un effort vain. Alors prenez le temps de réfléchir : quels sont les experts chez qui vous voulez planter la petite graine de vos idées ?
Demandez un retour critique sur votre dossier par un non-spécialiste
Une fois que vous avez peaufiné votre dossier au point d’en être satisfait-e, vous penserez sans doute qu’il est parfait. Il ne le sera probablement pas. Vraiment. Souvenez-vous de cette myopie du scientifique, dont vous souffrez probablement aussi ?
Donnez votre dossier à relire à une personne de confiance mais qui travaille dans un autre domaine. Demandez-lui d’être critique et prenez ses retours très au sérieux. N’écartez pas d’emblée la critique au prétexte du manque d’expertise, parce que le comité sera aussi composé de non-experts. Souvenez-vous de faire bonne impression auprès des deux publics. J’ai moi-même complètement réécrit une de mes demandes de financement sur la base d’un commentaire (de ceux que l’on a tendance à balayer d’un revers de la main) d’un non-expert perspicace. Je suis convaincue que c’est cette réécriture qui a assuré le succès de ce « produit » final.
ACTION : faites lire à votre dossier (désormais simplifié) à des gens hors de votre domaine pour un retour critique. Prenez leurs retours très au sérieux.
C’est tout pour maintenant. Bonne chance !
REMARQUE DE BIG BANG SCIENCE COMMUNICATION :
Ce texte a été rédigé par une chercheuse britannique. Le vocabulaire de l’article original et le détail des procédures sont spécifiques aux pratiques du Royaume-Uni. Ils ont été généricisés autant que possible dans cette traduction. Ceci dit, si les pratiques diffèrent un peu en France selon les domaines (notamment la constitution du panel), nous pensons néanmoins que les conseils dispensés dans ce billet ont une portée universelle et nous espérons que cela pourra vous aider. Si vous avez des conseils plus spécifiques à ajouter ou des critiques à formuler, n’hésitez pas à partager un commentaires (ci-dessous). Merci 🙂