Vous est-il déjà arrivé de ne pas pouvoir poser un livre ? Un bon polar, par exemple, ou le dernier Dan Brown, truffé d’intrigues captivantes, d’énigmes et d’actions, qui incitent constamment à tourner la page. Nous lisons tous; dans le parc, dans le train, à la plage, puis nous en discutons avec passion autour d’un café, d’un dîner ou même le soir du Réveillon. Alors pourquoi sommes-nous si frileux à l’idée de raconter l’histoire de nos propres découvertes scientifiques ? La science est-elle si banale, si peu digne d’intérêt ? La fiction est-elle vraiment plus captivante que les faits ?
La communication scientifique est l’art de raconter la science de manière à la fois fidèle et convaincante. Pour beaucoup d’entre nous, cela demeure une corvée, quasiment placée au sommet des « obligations non scientifiques des vrais scientifiques ». Mais le brouillard entourant ce sommet en apparence inaccessible peut facilement être dissipé. Laissez-moi vous raconter une histoire…
Il y a très longtemps, des humains découvrirent le feu. Ils virent que cela était bon. Ils décidèrent ensuite de raconter aux autres ce qu’ils avaient découvert : une merveille crépitante de chaleur et de lumière. Cette petite histoire s’est transmise depuis la nuit des temps, jusqu’à aujourd’hui, jusqu’au moment où vous lisez ces quelques lignes.
Le désir insatiable de « savoir » est rivé au cœur même du comportement humain. C’est ce crépitement de feu primitif que nous essayons de retrouver, lorsque, assis en demi-cercle, nous nous laissons transporter par les paroles oniriques d’un conteur, par une froide nuit d’hiver. Pendant des millénaires, les êtres humains ont accumulé et diffusé des connaissances de façon orale, en se racontant les mêmes vieux contes, encore et encore.
En anglais moyen, le mot eidenai dérive d’ailleurs du grec (« savoir ») et ne se distingue pas du mot « story » (histoire). Plus tard, au cours de la Renaissance, les inventeurs, scientifiques et philosophes mêlaient harmonieusement les paraboles, la peinture et la poésie à la démarche scientifique. Au sommet de la pyramide intellectuelle, les polymathes symbolisaient le brillant kaléidoscope des compétences que l’intellect humain peut maîtriser.
Au fil des années, les Lumières, la révolution industrielle et la technologie moderne conduisirent à une rupture entre les arts et les sciences. L’exigence d’hyperspécialisation et le dénigrement progressif des arts, qualifiés de frivoles ou hédonistes, en eurent raison. Les arts furent écrasés par le pouvoir sérieux et utilitaire du raisonnement rationnel et de la logique froide.
La science s’enorgueillit de sa rigueur et de son objectivité. Otages de cette vision austère, nous avons perdu de vue le point commun entre deux besoins humains fondamentaux : le savoir d’une part, (ce que nous apprenons) et les histoires de l’autre (le désir même de connaître et de partager). Aujourd’hui, nous respectons les faits et méprisons la fiction. Pourtant, nos yeux s’illuminent dès qu’il est question d’entendre ou de raconter une histoire. Et si vous pouviez exploiter ce frisson d’excitation pour partager votre science avec le public ? Au fond, nous sommes tous des conteurs et des spectateurs ! Les gens ont soif d’expériences, d’étonnements et de surprises ! Ils ont envie d’entendre quelque chose de nouveau, de fascinant et d’excitant !
Nous ne sommes peut-être pas tous de grands romanciers, mais nous avons tous partagé avec émotion une histoire qui nous avait touchée, en essayant de trouver les mots justes pour que la personne en face de nous ressente la même chose. En y réfléchissant, raconter des histoires scientifiques n’est pas si différent de raconter une histoire fictionnelle. Vous me direz probablement : « Je suis un physicien quantique, pas Umberto Eco. Je ne sais pas comment transformer mes recherches en roman ! ». À quoi je répondrais : « Si, vous savez le faire ! Vous l’avez déjà fait, plusieurs fois au cours de votre formation scientifique, mais pas pour le même public ».
La diffusion de la science, dans le monde académique du moins, repose sur la publication dans des revues scientifiques et techniques. Pensez à toutes ces longues heures passées à rédiger votre thèse et vos articles ! Le processus d’écriture d’un manuscrit ressemble fortement à celui d’un roman ! « Soyez convaincants » est le mantra qu’on assène aux élèves. Le choix des mots est crucial. Les meilleurs articles scientifiques, outre la qualité de leurs recherches, sont souvent ceux dans lesquels un récit fluide guide naturellement les lecteurs dans un monde d’hypothèses novatrices, d’expériences bien menées et de résultats rationnels. Pile au moment où vous envisagiez une expérience audacieuse, les auteurs vous annoncent que c’est précisément ce qu’ils ont fait ! En lisant la conclusion, vous éprouvez cette délicieuse satisfaction que seul le dénouement d’un conte merveilleusement raconté peut procurer.
Alors que l’écriture académique est encore contrainte par un format d’écriture impersonnel, où la priorité est d’exhiber des preuves, la communication scientifique pour “le grand public” laisse largement plus de place à la création et à l’imagination. En partageant votre science avec le monde, ce n’est pas seulement votre public qui change, mais votre objectif. Tout comme on ne raconte pas une histoire de la même manière à sa grand-mère et à son meilleur ami, il faut adapter la structure narrative à votre public.
Voici quatre outils narratifs qui vous seront certainement utiles :
1. Le format
Le choix du support est probablement la décision la plus critique pour raconter une bonne histoire. S’agira t-il d’un billet de blog (comme celui-ci), d’une vidéo YouTube, d’un post Facebook, d’une story Instagram, d’un événement dans un pub ou une école, d’une exposition dans un musée, ou d’une journée portes ouvertes dans votre institution ? Au lieu de rester paralysé face à l’étendue étourdissante de supports disponibles aujourd’hui, vous pouvez commencer par vous demander pourquoi ? Pourquoi racontez-vous cette histoire ? Distillez le message scientifique que vous voulez transmettre en un seul mot ou une phrase. La forme découlera de votre idée de départ. Certaines histoires peuvent faire de bons romans, mais pas de bonnes nouvelles ni de bons poèmes. Une fois que vous avez défini le contenu que vous souhaitez communiquer, demandez-vous à nouveau Pourquoi ? Pourquoi choisir telle plate-forme plutôt qu’une autre ? Pourquoi privilégier une diffusion en ligne à une véritable interaction en face-à-face ? Enumérer les avantages et les inconvénients est un exercice utile pour affiner la façon dont vous allez raconter l’histoire.
2. La langue et les dialogues
Maintenant que vous savez pourquoi vous racontez votre histoire et pour qui, revenez sur vos pas, prenez un peu de recul et détachez-vous des détails. En tant que scientifiques, expérimentateurs et chercheurs, vous pouvez avoir une tendance à vouloir transmettre tous les détails du processus scientifique. Mais ces derniers doivent livrés avec parcimonie et transmis dans un langage accessible, engageant et divertissant. Un langage verbeux et chargé de fioritures ne contribuera certainement pas à faire une bonne histoire. Pensez à l’essence-même de votre histoire : le début, le déroulement et la fin. Comment auriez-vous aimé que l’on vous la raconte ? Il ne faut pas pour autant que votre style de récit compromettre votre intégrité scientifique et votre souci de la précision. Ce qui importe, c’est que le jargon et les informations ésotériques ne gâchent pas le plaisir que pourrait ressentir le public en découvrant votre histoire.
3. Les personnages
Pour beaucoup d’auteurs, « le personnage EST l’intrigue ». Mais qui est le personnage dans une communication scientifique ? Et bien, vous pour commencer 🙂 C’est vous qui avez vécu l’histoire, c’est vous qui la racontez ! Comme pour le langage, les personnages d’une histoire ne sont pas des éléments indépendants; ils font partie d’un tout cohérent. En racontant une histoire de science, réfléchissez bien aux événements et aux acteurs qui donneront du relief et du rythme au récit. Les sujets de recherche, les modèles expérimentaux, les équipements et les acteurs de la science (qu’il s’agisse de cellules, de chercheurs ou d’ondes électromagnétiques) méritent tous d’être mis en scène. Votre public veut savoir qui a fait quoi, pourquoi, comment, mais aussi à quoi ils ressemblent, ce qu’il sont et d’où ils viennent. Plus vous évoquerez des éléments qui “parlent” au public, plus vous parviendrez à remporter son adhésion.
4. L’intrigue
Si l’histoire était une chaîne de dominos qui chutent, alors concevoir l’intrigue revient à décider dans quel ordre les faire tomber. Souvenez-vous : c’est l’intrigue qui vous a conduit à Dan Brown et Harry Potter ! Lorsque vous élaborez le plan de votre histoire, simplifiez vos objectifs : transmettre un ou deux points clés, dans un scénario cohérent et sans fioritures. Répondez aux 5 questions fondamentales : quand, pourquoi, quoi, où et qui, avant de livrer vos découvertes scientifiques. Les gens apprécieront davantage votre histoire si vous donnez un peu de contexte dès le début : comment en êtes-vous venus à travailler sur ce sujet par exemple ? Concentrez-vous sur des aspects originaux, qui attirent l’attention, nourrissent le suspense, suscitent de l’enthousiasme et de l’intérêt. Si vous tenez à inclure des détails, parlez de vous, de votre labo, pas des aspects techniques. En tissant votre intrigue, vous devrez peut-être changer le fil de l’ordre réel des événements pour le rendre plus attrayant. La clarté de votre communication et vos messages-clés sont plus importants que la précision chronologique. Les résultats scientifiques n’en seront pas déformés. En fonction de vos objectifs, vous pouvez aussi questionner le public, l’inspirer ou l’inciter à approfondir le sujet.
En pensant à la science, nous écartons nos facultés créatives et imaginatives. Ou pire, nous prétendons en être totalement dépourvus. Néanmoins, le savoir et la narration sont étroitement associés et inextricablement liés dans nos esprits. Je propose que nous abordions la communication scientifique avec l’émerveillement et la curiosité d’un conteur. Evidemment, certains diront que recourir à ces techniques de communication dans un cadre scientifique est creux et superficiel, car on aurait extirpé la science du laboratoire pour la mettre sous le feu des projecteurs. En dépit de certaines attaques au vitriol contre le storytelling en tant que stratégie générale de communication (https://vimeo.com/98368484), nous avons beaucoup à apprendre de notre amour pour les histoires émouvantes et exaltantes.
Même si votre recherche ne vous semble pas spécialement excitante ou extraordinaire, ne vous en faites pas ! Au cœur de chaque projet de recherche se trouve une histoire qui attend d’être démêlée et racontée. Les doutes que nous entretenons au sujet de la communication scientifique peuvent facilement être dissipés si nous nous concentrons sur l’histoire que nous voulons raconter aux autres. Si vous racontez votre histoire simplement, avec passion et sincérité, vous atteindrez vos objectifs. Après tout, tout le monde apprécie une bonne histoire. Alors racontez-nous votre histoire de science !